11 Ainsi arriva la réflexion chrétienne chez nous, déjà bien élaborée et pensée au sein de la culture antique qui était aussi celle de nos anciens gallo-romains ! « Ni éliminé ni poursuivi, le savoir grec se perpétua donc tout en étant transformé. A ce jeu, Platon l’emporta sur Aristote, Homère et les orateurs furent sauvés, ainsi que les savoirs mathématiques et médicaux conservés, tandis que les Tragiques sombraient dans l’oubli – le théâtre disparaît complètement à l’époque patristique – et que els historiens n’étaient plus connus que par bribes. Le christianisme connut en outre un processus d’aspiration à la rationalité pour défendre, analyser et expliquer le dogme... Cette continuité réelle ne s’effectua pas sans rupture ou inflexions notables. Une approche prudente est de mise. »44
Nous allons retrouver les fruits de ce travail magnifique de confrontation entre la foi et la culture antique dans ce subtil résultat, dans la personnalité des évêques de Toul du temps.
Les évêques
L’évêque AUSPICE (460-470) était ami de St Sidoine Apollinaire (430-489): cet homme politique, évêque et écrivain gallo-romain, était né à Lyon en 430 et mourut à Clermont en 486. Préfet de Rome en 468, évêque d'Auvergne en 471, il est également connu pour son œuvre littéraire (Lettres et Poèmes). Nourri de la culture antique – sans doute lacunaire - notamment par les vers d’Ovide et de Virgile, il devient l’un des poètes et des écrivains les plus fameux du siècle. On recherche son contact ou sa collaboration, particulièrement les personnalités officielles, même les plus illustres.
Sidoine parle de l’évêque Auspice de Toul avec beaucoup d’éloge et d’honneur :
« Fut Auspice évêque de l’Eglise de Toul en Gaule, homme particulièrement docte et pieux, comme il apparaît dans la lettre en prose rythmée qu’il écrivit à Arbogaste comte de Trêves, qui l’exhortait à rompre avec l’avarice et la cupidité. » Arbogaste avait demandé à Sidoine une règle de conduite ; Sidoine s’excusa et envoya le jeune homme à Auspice et à Loup de Troyes.
En 470 et jusqu’en 496, l’évêque URSUS (= ours) assure le gouvernement de l’Eglise de Toul. Sous son épiscopat, se déroula un événement qui devait marquer pour longtemps l’histoire de l’Evangile !
Les Alamans ayant franchi le Rhin une nouvelle fois, menaçaient la Basse Moselle. Sigebert roi des Ripuaires les arrêta d’abord à Tolbiac, aujourd’hui Zülpich, en Rhénanie du Nord-Westphalie, mais craignant d’être débordé, il fit alliance avec Clovis chef des Francs Saliens ; Clovis accourut du bassin de l’Escaut et défit les Alamans en Alsace en 496, bien que l’issue du combat parut très incertaine et que Clovis ait dû invoquer « le Dieu de Clotilde » pour l’aider à la victoire.
Passant par Toul, à son retour, il demanda un catéchiste à Ursus qui confia Clovis au prêtre Waast pour répondre à ses questions et l’instruire. Franc comme Clovis, Waast devait pour voir parler librement avec le roi. Cet événement est capital religieusement parlant.
En effet, l’hérésie arienne qui niait la divinité du Christ était très répandue en Orient et en Occident avec, plus ou moins, la complicité des autorités publiques. Les Conciles de Nicée en 325, Constantinople en 381 – d’où est issu le symbole que nous récitons à la messe – et le concile de Chalcédoine en 451 avaient explicité la foi de manière nette et claire. Mais la résistance arienne restait forte. Il est plus facile pour la raison de croire en un Dieu unique et un grand prophète plus qu’en en un homme Fils de Dieu. Notre région et celle de Reims étaient fidèles à la foi de l’Eglise. St Clotilde bien que Burgonde – les Burgondes étaient ariens – était catholique. Clovis en devenant catholique et non arien fit basculer une grande partie population dans la foi catholique et ainsi favorisa la disparition de l’arianisme.
« Les conditions d’évangélisation auprès des barbares, écrit le Père Cantalamessa, se présentaient sous une tout autre forme, différente de celles que l’on connaissait avec le monde grec et romain, où le christianisme avait devant lui un monde cultivé, organisé, avec des règles, des lois, des langages communs. Il avait, pour ainsi dire, une culture avec laquelle dialoguer, se confronter. Maintenant il allait devoir faire face à deux tâches en même temps : civiliser et évangéliser. Enseigner la lecture et l’écriture, tout en formant à la doctrine chrétienne. L’inculturation se présentait sous une forme totalement inédite. »
A Toul, ALBAUD successeur de EVRE fondera une école épiscopale qu’il confiera à Antimond qui lui succèdera comme évêque. Cette Ecole cathédrale sera d’une très grande qualité pendant de longs siècles. Cette tâche de civilisation est donc commencée au début du 6ème siècle.